La mutualité scolaire



 © Bernard Bruguet

Bien que sous le Second Empire, Jules Simon (Jules Simon, L’ouvrière, 1861) ait maintes fois plaidé en faveur d’un accueil mutualiste sans restrictions de genre ni d’âge, les changements dans ce domaine n’ont guère été sensibles avant les années 1880. Ce nouvel état d’esprit dans la Mutualité rencontre l’approbation de la Troisième République, soucieuse de consolider ses positions par l’intégration de toutes les catégories sociales et générationnelles. Les conditions sont réunies pour le lancement de la Mutualité scolaire.





Mutualiser dès l’enfance

En 1881, un ancien négociant en vin et juge au Tribunal de Commerce, Jean-Cyrille Cavé (1834-1909) fonde à Paris la première mutualité scolaire, pour les enfants de trois à treize ans. La date de création de cette “ société de secours mutuels et de retraite du XIXe arrondissement ” n’est pas fortuite. En effet, la même année, Jules Ferry organise l’enseignement primaire gratuit, laïque et obligatoire, qui permet la réalisation technique de l’idée originale de Cavé : la collecte d’une cotisation hebdomadaire de deux sous par les instituteurs, dont une partie est destinée à la couverture du risque maladie, et l’autre à la constitution d’un livret d’épargne à capital réservé, déposé à la Caisse nationale des retraites et de la vieillesse.

Il s’agit de concilier l’expression de la solidarité immédiate et la prévoyance sur le long terme, mais par le moyen d’une gestion séparée, ce qui n’est pas le cas dans les mutuelles d’adultes. Sensibilisés aux valeurs mutualistes dès l’âge de trois ans, les enfants sociétaires apprennent ainsi, en anticipant les accidents de la vie, à raisonner sur toute la durée de l’existence. Les décisions concernant le fonctionnement de la société sont prises au sein de l’assemblée générale représentée par les pères ou, par les mères, en l’absence de ces derniers. Dans la mesure où elles s’inscrivent parfaitement dans l’objectif éducatif d’éveil à la citoyenneté visé par la Troisième République, les mutualités scolaires suscitent l’intérêt du personnel politique, tant au niveau national, qu’au niveau local ; les maires sont invités à y jouer le rôle de membres honoraires, aux côtés des enseignants, inspecteurs de l’Enseignement primaire et des médecins.


 © FNMF





 © Bernard Bruguet
Consécration des petites et des grandes Cavé

Dans les années qui suivent la fondation de la première société, l’œuvre végète par un manque d’implication des instituteurs, censés constituer la cheville ouvrière du système ; réserve qui peut s’expliquer par la mise en route simultanée des écoles primaires, qui mobilisent les énergies enseignantes. En outre, le projet de mutualisation des jeunes élèves ne rencontre guère d’audience que dans les classes moyennes ou aisées du département de la Seine. Mais Cavé peut compter sur le soutien actif du président fondateur de la Ligue française de l’Enseignement, Jean Macé (1815-1894), et, l’appui logistique de la jeune Ligue nationale de la prévoyance et de la mutualité, récemment fondée par Hippolyte Maze.

En 1891, alors que la société scolaire du 19e arrondissement fête sa première décennie et ses 800 adhérents, une seconde mutuelle s’est établie dans le VIIIe arrondissement, ainsi que deux autres en Meurthe-et-Moselle et Seine-Inférieure.
L’événement catalyseur pour l’essor des mutuelles scolaires en province est la rencontre, en 1897, à la Ligue de l’Enseignement, entre Cavé et Edouard Petit, inspecteur de l’Instruction primaire. Ce dernier s’attache à divulguer les principes de la mutualité scolaire au cours des tournées d’inspection qu’il est amené à effectuer dans les écoles. Il parvient rapidement à convaincre les instituteurs, qui à leur tour, se font les meilleurs prosélytes de la mutualité auprès des familles de leurs élèves, dans toutes les couches de la société.
La Charte de la mutualité de 1898 contient des dispositions avantageuses pour le développement de cette œuvre de mutualisation des jeunes générations. Les statuts-types publiés à cette occasion stipulent que “ Les excédents de recettes sur les dépenses de maladie sont versés au fonds commun de retraites de la société et reçoivent les subventions de l’Etat, au même titre que les versements effectués à ce chapitre par les sociétés d’adultes. ” Le 28 mai 1899, une grande fête de la mutualité scolaire présidée par Charles Dupuy, président du conseil et ministre de l’Intérieur, se tient en présence du ministre de l’Instruction Publique. Lorsque la FNMF est constituée en 1902, Jean-Cyrille Cavé et Edouard Petit figurent parmi les vice-présidents.





La progression rapide des effectifs de la mutualité scolaire

En 1903, 563 047 garçons et filles âgés de trois à treize ans sont affiliés au mouvement. La toile mutualiste relie alors près de 13 000 écoles à travers la France, adhérentes à des “ grandes Cavé ” qui centralisent les adhésions au niveau départemental, comme dans l’Ardèche, ou à des “ petites Cavé ”, recrutant au niveau cantonal, comme les 97 sociétés du seul département de l’Ain. Le succès de ces associations est lié à l’implication des inspecteurs primaires, dont l’une des figures emblématiques est Barthélemy Profit (1867-1946), promoteur d’une vingtaine de mutuelles dans les départements de la Savoie et du Puy de Dôme, vers 1906-1907. Une Union des mutualités scolaires de la Seine, regroupant près de 65 000 sociétaires fonctionne de 1900 à 1910, sous la présidence de Jean-Cyrille Cavé lui-même.
Ecartés des bénéfices de l’œuvre à ses débuts, les pupilles de l’Assistance publique y accèdent au début du XXe siècle, grâce aux subventions votées par les Conseils généraux.
Afin de pallier la faible mutualisation de la tranche d’âge des treize-vingt ans, le mouvement mutualiste qui n’a jamais été aussi pluriel retrouve une logique de cohérence et de continuité en s’engageant dans la réalisation du “ pont mutualiste ” : certaines sociétés d’adultes dispensent du droit d’admission les adolescents issus des mutualités scolaires ; une autre solution consiste à créer une mutualité post-scolaire pour assurer la transition entre le monde de l’école et celui du travail, ou encore à accueillir les collégiens. Dans tous ces cas, les jeunes adhérents sont responsabilisés par une participation aux votes dès l’âge de seize ans.
Enfin, bien que ces organisations tendent à fidéliser la jeunesse aux valeurs républicaines, la question de la laïcité ne fait pas débat dans les assemblées ; aussi, la fondation par Cavé et Edouard Petit de l’Union nationale des Mutualités scolaires publiques, en 1906, n’empêche-t-elle pas davantage les élèves des écoles privées de rejoindre la mutualité scolaire.


 © FNMF





 © Bernard Bruguet
La transmission des valeurs mutualistes aux jeunes générations

A la mission originelle de prise en charge du risque maladie et de constitution d’une épargne retraite, s’ajoutent parfois l’organisation d’une bibliothèque scolaire et la distribution de secours en nature aux enfants pauvres des écoles. Les mutualités scolaires sont ainsi destinées à générer chez leurs jeunes adhérents, des comportements philanthropiques, le sens des responsabilités, et le réflexe du “ self help ”, principe fondateur de l’économie sociale.
Lorsque Jean-Cyrille Cavé décède en 1909, la mutualité scolaire peut s’enorgueillir d’avoir amorcé le réflexe de la prévoyance mutualiste chez ses jeunes sociétaires, qui sont près de 900 000 à la veille de la Première Guerre mondiale.

En revanche, le bilan apparaît plus terne, pour ce qui concerne l’efficacité des prestations : il semble que nombre d’adhérents aient cessé de faire des versements sur leurs livrets de retraite en quittant le système scolaire, en dépit de la possibilité qui leur était offerte de continuer leur épargne dans le cadre de la loi sur les Retraites ouvrières et paysannes de 1910 votée en 1910. Les dévaluations monétaires de l’après guerre ont achevé de laminer ce mode de retraite par capitalisation. Encouragées par une circulaire de 1921, certaines sociétés scolaires se sont alors lancées dans des activités de prévention, en organisant des colonies de vacances pour les enfants souffreteux.
Bien que l’application des lois de 1928-1930 ait fait perdre aux mutuelles scolaires leur caractère original de prise en charge des enfants, il en restait encore 355, regroupant 208 000 participants en 1955. La première société créée par Jean-Cyrille Cavé en 1881 a disparu par fusion en 1968.



clic pour imprimer