La société de secours mutuels


 

La société de secours mutuels tient une place majeure dans l'histoire de la Mutualité moderne. Née formellement dans le sillage de la Révolution française, elle constitue pendant un siècle et demi la structure vitale et emblématique du mouvement mutualiste. Trois périodes sont à distinguer dans le développement de ce type de groupement.


En marge du droit – De l'Ancien régime à 1848

Si la dénomination de société de secours mutuels apparaît après 1789, le concept associatif lui-même est à l'œuvre depuis beaucoup plus longtemps. La confrérie de Sainte-Anne, créée par des compagnons menuisiers du Faubourg du Temple propose un véritable modèle d'organisation mutualiste dès le XVIIe siècle. Paradoxe de l'histoire, le terme de « secours mutuels » utilisé pour la première fois par les ouvriers charpentiers de Paris, en juin 1791, est immédiatement proscrit par la loi Le Chapelier. L'appellation de SSM sera longue à s'imposer. Au lendemain de la Révolution, les confréries de métiers autorisées de nouveau à fonctionner prennent généralement le nom du saint sous le patronage duquel elles s'étaient placées.

La notion de bienfaisance est très présente dans les dénominations alors retenues. Telles ces sociétés de bienfaisance mutuelle, crées après 1800, dans le Dauphiné, au premier rang desquelles la mutuelle des gantiers qui constituera longtemps le plus important groupement mutualiste professionnel français. Mais, la méthode philanthropique n'est plus guère adaptée aux besoins d'une société française, dont le développement exige de nouvelles formes de solidarité collective. La SSM semble alors répondre à cette exigence de lien social, au point de devenir un ferment des premières luttes ouvrières. La fonction de défense convient, toutefois, d'être relativisée, car le nombre de sociétés assumant la double mission de prévoyance et de résistance paraît avoir été relativement restreint.

A partir des années 1830, le terme générique de SSM tend à s'imposer malgré la concurrence du compagnonnage. La liste annuelle des groupements de prévoyance, publiée par la Société philanthropique de Paris, témoigne de son ascendant progressif. Les milieux dirigeants ne vont pas tarder d' en tenir compte. Première et timide reconnaissance : une loi du 22 juin 1835 autorise les dépôts des SSM dans les Caisses d'épargne, jusqu'à concurrence de 6 000 Fr.





En liberté surveillée (1850-1898)

En dépit de quelques velléités, la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe se borne à recommander la création de SSM au motif qu'elles favorisent la diminution des pauvres dans les hôpitaux. Finalement, le déblocage juridique se produit dans le sillage de la grande secousse sociale provoquée par la révolution de 1848. Après l'échec d'un premier essai législatif, sous la IIe République, l'initiative d'une reconnaissance institutionnelle durable revient à Louis Napoléon Bonaparte. Quatre mois, après son coup d'Etat, le 26 mars 1852, il publie le décret instituant la société de secours mutuels approuvée.

Cette décision, motivée par une double préoccupation de contrôle social et de lutte contre la maladie, devenue un problème politique majeur, donne à la France sa première législation sociale du XIXe siècle. Le pouvoir impérial confie de fait, aux SSM, une fonction officieuse d'assurance maladie volontaire, en les soumettant à des règlements modèles. Cette intervention engage l'essor durable du nombre des SSM et de leur champ d'activité sanitaire. Les sociétés approuvées, qui ne représentaient que 8% des sociétés de secours mutuels en 1852, en constituent les trois quart en 1871. Leur nombre a plus que doublé et atteint 5 780. Mais de fait, l'encadrement juridique impérial interdit aux mutuelles d'autres activités que le secours maladie, en imposant la limite de 500 adhérents par société. Un tel seuil de membres participants est incompatible avec la prise en charge de risques comme la retraite ou l'invalidité.

Le régime de liberté surveillée demeure en vigueur en 1871, malgré l'instauration de la République. Il faut attendre près de trois décennies pour que la loi de liberté, souhaitée par les mutualistes, voit enfin le jour. Le retard s'explique par la résistance opiniâtre qu'opposent les mutualistes aux projets des pouvoirs publics, visant à assimiler le statut des SSM à celui des entreprises d'assurance, en vue de rationaliser leur fonctionnement. L'identité contemporaine du mutualisme français et de ses sociétés de secours mutuels se constitue ainsi à la faveur de la confrontation avec le pôle marchand de l'assurance et avec le syndicalisme ouvrier en gestation.





La légitimation républicaine (1898-1945)

Finalement, la loi adoptée en faveur des sociétés de secours mutuels, le 1er avril 1898, dénommée Charte de la mutualité, est avant tout une loi républicaine de liberté, comparable à celles consacrées à l'école, à la presse et aux syndicats. Le contrôle technique se substitue à la tutelle politique arbitraire de l'Etat. Les limites restrictives au niveau de la commune et de la taille des effectifs sont supprimées. Non seulement le recrutement s'exerce sur l'ensemble du territoire, mais les sociétés peuvent désormais former des unions entre elles. Cette nouvelle et précieuse faculté leur donne la possibilité de conjuguer les opérations à long terme (assurance-vie, retraite, œuvres sociales) et les secours temporaires. La loi dote les sociétés d'un outil technique promu à un grand avenir : la caisse autonome. Les femmes et la mutualité maternelle occupent une place grandissante dans les sociétés à la faveur de cette libéralisation.

Institutions volontaires, les SSM sont confrontées, à partir du XXe siècle, à l'apprentissage difficile de la mise en place nécessaire de l'assurance sociale obligatoire. La première expérience, avec la loi sur les retraites en 1910, est un échec ; 13% des sociétés à peine organisent un service de pensions. En revanche, avec la législation des Assurances sociales votée en 1928-1930, les sociétés de secours mutuels prennent une part déterminante dans la réussite du nouveau système social.

Les groupements mutualistes confirment alors avec éclat leur fonction d'agent principal de la médicalisation de la lutte contre la maladie, en France. Si le législateur redéfinit, à la faveur de l'instauration de la Sécurité sociale, en 1945, le positionnement de la mutualité dans un cadre complémentaire, il veille à élargir et à moderniser les buts et les moyens d'action de la société de base pour lui permettre de poursuivre sa mission historique. Cent cinquante ans après sa naissance, la société de secours mutuels reçoit une nouvelle dénomination, levant toute équivoque avec le concept caritatif. Elle s'appelle désormais : la société mutualiste.


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