Femmes et conflit


FEMMES EN CONFLIT

Si la convivialité semble inhérente au concept mutualiste, la vie des sociétés au quotidien laisse souvent entrevoir une réalité plus conflictuelle, comme en témoigne ce rapport adressé au préfet, en 1906 par un conseiller général de l’île de Ré, au sujet du fonctionnement de L’Union des femmes prévoyantes d’Ars ( Archives départementales de Charente-Maritime, 1207 W 547)


« La formation de cette société est une erreur que j’ai commise. J’ai cru qu’une société de femmes pourrait marcher par elle-même, sans trop de difficultés, et sans direction extérieure. J’avoue que je me suis trompé et qu’une société de femmes devient fatalement une sorte de pétaudière où tout le monde crie et se dispute sans faire aucune besogne utile. J’ai cru aussi, et c’est presque de la naïveté de ma part, qu’une ancienne confrérie religieuse pourrait du jour au lendemain devenir société de secours mutuels approuvée et revêtir, avec son nouveau titre, les mœurs libérales et égalitaires qu’il comporte. C’est une leçon que je me suis donné à moi-même et dont je profiterai dans l’avenir.
L’Union des femmes prévoyantes, après avoir affiché dans le début des principes d’indépendance louable, alors que je lui avais servi de parrain, l’avais fait approuver, et lui avais confectionné des statuts, est retombée peu à peu, et tout doucettement mon occupation ne lui permettant plus de continuer sur elle une action qu’il aurait fallu incessante, est retombée, dis-je, dans les mains du curé, son ancien directeur. A partir de ce moment, toutes les participantes jeunes et moins rétrogrades que les autres, n’ont plus pu dire un mot dans les assemblées. Le bureau complètement revenu à ses habitudes cléricales, n’a plus souffert la moindre discussion. Chaque assemblée est une tempête. On ne s’est pas encore battu mais cela viendra. On rend les comptes d’une manière plus que superficielle. Si une participante demande un éclaircissement sur un chiffre, la présidente se campe les poings sur les hanches et crie : « Alors, vous nous prenez pour des voleuses ? … Ces dames s’empoignent à coups de langue, et finalement la présidente lève la séance , ce qui coupe court à toute explication gênante. »


LE CONFLIT GAGE DE LA VITALITE DEMOCRATIQUE

Au delà de l’aspect anecdotique d’une querelle locale d’ordre générationnel, cette affaire porte en filigrane les débats sociétaux du début du XXe siècle : face à la République laïque et triomphante, le clergé cherche à maintenir son influence, dans les sociétés de secours mutuels féminines qu’il a créées au XIXe siècle, en réponse à la non admission des femmes dans les mutuelles mixtes. Cette mainmise cléricale sur les organisations féminines contribue à entretenir un discours misogyne contre la participation des femmes à la vie publique, et leur accès aux droits civiques.


« … Et quelques esprits imbus de justice voudraient l’accès des femmes aux votes politiques ! Je suis fixé pour ma part depuis que je vois fonctionner l’Union ( ?) des dames d’Ars. Cette situation pourra s’améliorer dans l’avenir à mesure que disparaîtront les éléments vieux et que les éléments jeunes s’introduiront dans le bureau. J’ai voulu intervenir pour faire prendre à la société, à propos de retraite, une mesure qui lui était favorable. J’ai été écouté avec grand intérêt, puis tout le bureau (j’allais dire « comme un seul homme ! ») a voté contre ce que je venais de proposer, qui a été adopté pourtant à une majorité de deux voix. Je me le suis tenu pour dit. »


Reste que, n’en déplaise à l’élu rétais qui en souligne les aspects les plus pittoresques, le différend qui oppose les participantes de cette société n’a rien de typiquement féminin. En effet, il n’est pas rare que la remise en cause par les sociétaires de la dérive autoritaire des administrateurs donne lieu à de violentes disputes à l’occasion des assemblées générales. Si ces épisodes tumultueux tendent à ébrécher momentanément la cohésion mutualiste, par ailleurs grandement symbolisée et ritualisée, ils n’en constituent pas moins la preuve de l’existence d’une vigilance démocratique à l’intérieur des sociétés de secours mutuels.



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