La mutualité en Amérique latine


Le premier âge : entre réformisme et révolution

D'inspiration européenne, la mutualité a été jusqu'à la Première Guerre mondiale la principale forme d'organisation populaire en Amérique latine, avec des implications variables selon les pays et selon les régimes politiques. Les organisations mutualistes du 19e siècle ont toutefois en commun d'avoir rempli deux fonctions a priori antagoniques : d'un côté, la promotion sociale de leurs membres, d'un autre côté, la résistance au pouvoir lorsque celui-ci se faisait coercitif.


En Argentine, les sociétés de secours mutuels ont d'abord eu pour mission l'aide à l'intégration des immigrants. La première d'entre elles a été créée par des Français à Buenos Aires en 1854, mais très rapidement les Italiens, ont organisé le réseau le mieux structuré, jusqu'à regrouper 15 sociétés dans une seule association en 1916. C'est une société mutualiste, l'association des typographes de Buenos Aires, qui organisa la première grève du pays, en 1878. La spécialisation ethnique de certaines professions, comme la fabrication des chaussures par les Italiens, eut des répercussions sur la configuration du mouvement mutualiste argentin en grands groupes nationaux. Leur participation des sociétés aux grandes luttes ouvrières entre 1905 et 1916 contribua à leur donner une apparence syndicale. Cet engagement fut aussi la raison de leur succès : en 1914, 65% des travailleurs de la capitale appartenaient à une société de secours mutuels.


Au Chili, les mutuelles, comme l'Union des artisans créée à Santiago en 1862, ont lancé diverses initiatives allant bien au-delà de la simple prise en charge de la maladie : lutte contre l'alcoolisme, éducation, atelier pour les chômeurs, voire émancipation féminine à la société des travailleurs pour l'aide mutuelle, fondée à Valparaiso en 1887. Liée aux coopératives de producteurs et de consommateurs, la mutualité chilienne offrait à ses membres un véritable mode de vie alternatif, rendant plus supportables l'exode rural et l'industrialisation. A la fin des années 1880, elles se sont fédérées en unions urbaines et provinciales, afin de limiter leurs frais de gestion. Finalement, en 1894, elles ont créé une fédération nationale appelée Congrès social ouvrier, qui regroupait 240 mutuelles en 1900.


Adaptées à une situation politique mouvementée, les sociétés de secours mutuels mexicaines de la seconde moitié du 19e siècle, avaient pour coutume d'aider les membres et leurs familles en cas d'exil ou d'emprisonnement.


Autre cas de figure, la mutualité colombienne, quant à elle, a été à ses débuts très influencée par le catholicisme. Initiée par les missionnaires espagnols dans les paroisses, elle prenait surtout en charge les frais funéraires. L'une des plus anciennes, la Sociedad de Caridad fondée par des artisans à Bogota en 1864 existe toujours. A la fin du 19e siècle, le réseau couvrait toutes les régions, avec une plus forte implantation dans les centres urbains de Bogota et Medellin.





Au 20e siècle : une mutualité affadie

Sous la direction du Congrès social ouvrier, les mutuelles représentent l'un des éléments les plus revendicatifs du mouvement social chilien, particulièrement bien implanté dans les milieux de l'artisanat et du petit commerce. En 1925, diverses petites fédérations le rejoignent pour former la Confédération nationale mutualiste, forte de plus de 100 000 membres. L'anarcho-syndicalisme s'affirme comme un concurrent redoutable. En 1925, la mutualité perd du terrain avec la mise en place des assurances maladie-invalidité obligatoires pour les salariés, les artisans et petits commerçants en 1924. Son engagement au côté de la dictature militaire d'Ibanez en 1927-1931 la décridibilise un temps, avant qu'elle ne se raccroche à ses principes démocratiques originels. Toutefois, le putsch de Pinochet en 1973 et la répression contre la Confédération nationale lui ont porté un coup fatal. Le système de santé social a été démantelé par la dictature, et remplacé par un système d'assurances privées de santé et de retraite.


Toujours engagées sur le terrain politique, les mutuelles mexicaines ont abandonné l'assurance maladie après la création de l'Instituto mexicano de Seguro social, en 1940, pour s'intéresser à d'autres domaines, comme le crédit populaire.

L'évolution de la mutualité argentine n'est guère différente : son déclin date de 1944, date à laquelle sous Peron fut fondé l'Instituto nacional de prevision social qui, à l'époque, fournissait les meilleures prestations de toute l'Amérique latine.

Au Brésil, la mutualité a essentiellement concerné les salariés de certains secteurs économiques comme les compagnies de chemin de fer, les banques, les services portuaires. D'inspiration exclusivement réformiste, elle est restée à l'écart des luttes sociales. Lorsqu'un système de protection sociale a été mis en place dans les années 1930, le mutualisme s'est dilué dans le secteur assurantiel à but lucratif.

Enfin en Colombie, le mouvement mutualiste pro-catholique avait surtout pour but de détourner les travailleurs du syndicalisme. Son activité s'est longtemps limitée à la prise en charge des obsèques, pendant que les coopératives investissaient le secteur de la santé. Depuis les années 1950, les mutuelles s'intéressent aux services médicaux et pharmaceutiques, et lancent des projets de cliniques.



expo 2007

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