CHEYSSON Emile



 © coll. cédias-musée social
Emile Cheysson [1836-1910]

Disciple de Frédéric Le Play, Emile Cheysson s’efforce de dépasser un héritage doctrinal fondé sur des rapports sociaux hiérarchiques et patronnés. Fait unique, cet ingénieur des Ponts-et-Chaussées doit à sa double compétence industrielle et sociale d’être nommé, à 35 ans, directeur des Usines du Creusot (1871-1874), alors qu’il n’est lié d’aucune façon à la famille Schneider. Cette expérience conforte sa volonté de jeter les bases d’une gestion plus technique du social. Il se consacre, dans cette perspective, à ce que Condorcet appelait la « mathématique sociale », en vue de forger un nouvel outil au service de la réforme. Devenu membre de la prestigieuse Société statistique de Paris, Cheysson défend, à contre courant de ses collègues, la nécessité d’une convergence entre la statistique et l’actuariat, tant l’assurance lui paraît comme « La seule science à avoir la mathématique pour base et la morale pour couronnement ».


Le recours aux techniques assurantielles s’impose aux dirigeants des sociétés de secours mutuels pour garantir la péréquation de leurs ressources et de leurs engagements. Il publie à cet effet, en 1888, L’imprévoyance dans les sociétés de prévoyance. Son activité se concentre, dès lors, sur l’approfondissement et la diffusion des connaissances actuarielles. La participation active, au printemps 1890, à la naissance de l’Institut des actuaires français et de la Ligue de la prévoyance et de la mutualité, puis du Musée social, en 1894, trois institutions dont il sera le vice-président, constituent les principaux jalons de cet engagement pédagogique. Mais, ses liens de proximité avec les membres des sociétés de prévoyance le conduisent à s’interroger sur les effets contradictoires qu’induit l’utilisation de la technique actuarielle, selon qu’elle s’exerce dans un cadre solidariste ou lucratif.


Il fait le constat que le calcul probabiliste n’est nullement immunisé contre la dérive spéculative. Il s’étonne que l’on ait pu recourir, pendant tout le 19e siècle, à des tables de mortalité « d’une fausseté intolérable » pour le seul motif qu’elles procuraient des bénéfices importants. Emile Cheysson s’inquiète de la tentation hégémonique du pouvoir actuariel, « Les mathématiques doivent être des auxiliaires et non les maîtresses de l’économie sociale ». Sa mise en garde témoigne, alors, de l’émergence d’une position plus nuancée de la part des réformateurs sociaux sur la question assurantielle. Personnalité aux engagements contradictoires, le rejet obstiné du principe d’obligation va de pair avec un rôle déterminant dans l’élaboration de la loi de liberté qui consacre, en 1898, à la fois l’identité solidaire de la mutualité et sa nécessaire convergence avec le mouvement coopératif.



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