Né en 1806 dans un milieu modeste, Frédéric Le Play devint polytechnicien puis ingénieur des Mines. Initialement, rien ne semblait devoir le destiner à s’intéresser à la question sociale mais dès 1829, il mit au point une méthode inductive fondée sur l’observation et sur l’enquête. Cette méthode, qui devait avoir un bel avenir dans les sciences sociales, permit à Frédéric Le Play d’accéder à une certaine célébrité tant de son présent qu’après sa mort, au terme d’une longue éclipse.

En 1855, avec le patronage de l’Académie des sciences, il publia son œuvre maîtresse, Les ouvriers des deux mondes. Pour lui, la solution de la “ question sociale ” se trouvait “ en grande partie dans les coutumes anciennes ”. Constatant la grande misère des régions minières qu’il connaissait, il opposait le paupérisme né du “ régime manufacturier ” à la pauvreté, plus localisée mais aussi plus diffuse, de l’Ancien Régime. Il attribuait cette extension de la misère aux “ faux dogmes de 1789 ”, à l’erreur fondamentale de la notion rousseauiste sur la perfection originelle d’où seraient nés trois dogmes erronés : la liberté systématique, l’égalité providentielle et le droit à la révolte. Pour Frédéric Le Play, l’homme trouvait en effet son bonheur dans la connaissance de la loi morale et la possession de son pain quotidien. A partir de la notion, fondamentale dans sa pensée, de “ constitution essentielle ”, il s’appuyait sur l’observation des Dix commandements, l’autorité paternelle, la religion et enfin la souveraineté : toutes ces notions garantissaient “la paix de Dieu" et "la paix du souverain”. Il pensait progresser dans cette voie par le biais de la communauté, de la propriété et du patronage. Dans cette volonté de renouer les liens sociaux du passé, la famille, en tant qu’unité sociale de base, jouait un rôle fondamental.

Opposé au contrat de travail fondé sur le seul salaire, hostile au libéralisme, Frédéric Le Play défendait également la notion de patronage qui visait à une socialisation des travailleurs dans le cadre de l’entreprise : chefs de famille, patrons et “autorités sociales" devaient faire régner le bien-être et la paix sociale à travers des liens de proximité, à travers des rapports reposant sur une sociabilité de tous les instants. Il justifiait ainsi, moralement et socialement, une société hiérarchisée. Reposant sur une orientation réactionnaire — au sens propre du terme par sa volonté d’une restauration des anciens rapports sociaux —, cette pensée condamnait la charité traditionnelle. En revanche, Frédéric Le Play était très favorable à l’association ouvrière ; mais les seules associations trouvant grâce à ses yeux étaient celles qui imposaient la prévoyance aux associés et l’obéissance aux chefs naturels. Frédéric Le Play qui influença des penseurs aussi différents que Tocqueville, Montalembert et A. de Melun, fut aussi une source d’inspiration décisive pour le patronage social de la seconde moitié du XIXe siècle, pour les catholiques sociaux, voire même de façon plus surprenante, pour les coopérateurs : certains de ses disciples jouèrent un rôle non négligeable dans l’économie sociale.
Frédéric Le Play mourut en 1882.

ŒUVRE CHOISIE : Les ouvriers européens, 6 volumes.

SOURCE : André Gueslin, L’invention de l’économie sociale. Idées, pratiques et imaginaires coopératifs et mutualistes dans la France du XIXe siècle, Paris, Economica, 1998.